Oï Gewalt

Mon ressenti sur la Shoah n’est pas facile à exprimer… J’en ai parlé à ma (demi) sœur. Son père est mort en déportation à Auschwitz et j’ai transmis des copies de nombreuses cartes qu’il écrivait de Drancy, au Mémorial de la Shoah. Ma sœur a également du mal à en parler aujourd’hui.
Je suis né peu après guerre, et ma première approche de la Shoah fut probablement lorsque je consultais l’album de famille de ma mère. Ma mère parcourait l’album en ponctuant ses commentaires de « mort en déportation » ou « rescapé »… ou bien « disparus en Pologne »… Mon père ne voulait pas évoquer son séjour à Auschwitz, mais en parlait quand même. Il répétait souvent des mots en Yiddish comme « Oï Gewalt » (« c’est terrible ») ou bien « Guéhène » (« enfer »). Il me racontait qu’un SS lui avait brisé la clavicule avec une pelle et qu’il avait fait semblant de rien afin de ne pas être gazé… La clavicule s’est ressoudée tant bien que mal. Une autre fois, il s’était caché sous un tas de charbon afin d’échapper à une sélection devant le conduire à la chambre à gaz…
A la libération mon père se retrouva à l’hôtel Lutetia et apprit que sa femme et ses deux enfants étaient morts en déportation. Son appartement était occupé et il fut hébergé rue Saintonge chez Simon (Szmil) Zajdenwerg en attendant de récupérer son logement. Il était fourreur et les Américains lui donnèrent une machine à fourrure lorsqu’il retourna chez lui.
Mon père avait eu une éducation religieuse en Pologne et pratiquait encore les grandes fêtes après guerre… Mais je pense qu’il n’était plus croyant. J’imagine que si j’avais reçu la même éducation avant guerre, j’aurais peut-être été croyant. Mais je suis athée, après avoir vu ces images de Juifs pendant la Shoah priant de toutes leurs forces pour essayer, jusqu’à la dernière minute, d’infléchir le cours des évènements sans que cela ait le moindre effet.
J’éprouve aujourd’hui un grand désir de justice et de transmission de la mémoire de la Shoah. Je suivais avec mon père les travaux des chasseurs de nazis Simon Wiesenthal et le procès Eichmann, puis de Serge Klarsfeld.

Charles Frydman  – août 2011

C. Frydman est le fils de Nuchym (Felix) Frydman qui était un ami de Szmil ZAJDENWERG et qui a été déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi n°4. En tout, neuf membres de sa famille ont été déportés de France (sans compter les disparus en Pologne) ; seul son père est revenu.