Sur les traces de Dora…

… de Vire à Lublin : retour sur cette histoire qui est aussi la nôtre

Après un premier voyage d’études à Auschwitz qui a permis en 2011 d’amorcer la réflexion, nous sommes partis cinq jours durant en février 2013 sur les traces symboliques de Dora, la plus jeune des déportés de Vire. De Vire à Lublin, de Lublin à Birkenau, voici donc un récit de cette expérience…

Dimanche 24 février 2013 :

Nous partons de Vire en train le matin à 7h45, après quelques photos pour le journal et les souvenirs des parents. Le voyage est amusant : jeux de cartes, rires, boutades… Au dehors, on aperçoit pour la dernière fois le paysage normand recouvert par la neige.

Lorsque nous arrivons à Paris à la gare Montparnasse, tout se fait dans la précipitation. Un sac dont on mesure enfin le poids, une foule qui se bouscule et des militaires qui doivent s’ennuyer. Après le trajet en métro, nous allons enfin voir le mémorial de la Shoah et rencontrer Adolfo Kaminsky, l’un des juifs de Vire qui fut interné à Drancy avant d’être libéré et de devenir faussaire dans la résistance juive. La rencontre avec cet homme au destin hors du commun est des plus enrichissantes.
Ensuite, retour au métro mais cette fois nous empruntons le RER pour nous rendre à la station le Bourget : c’est de là que les Juifs persécutés de France ont été déportés jusqu’en juin 1943… De là, nous marchons pendant deux kilomètres pour rejoindre l’hôtel et enfin poser nos sacs. Puis, nous repartons à pieds pour la cité de La Muette, afin de nous rendre sur les lieux de l’ancien camp d’internement de Drancy. Environ 80000 juifs y furent internés avant d’être déportés à Auschwitz principalement. Dora, elle, y passa trois semaines, avant le départ du convoi n°62… Cet endroit garde quelque chose de très… froid ou même peut être glauque. Des gens habitent actuellement ces immeubles où d’autres sont morts (car les premiers mois d’existence de ce camps furent fatals à de nombreux juifs.). En ce qui me concerne, je crois que même si je n’avais que très peu de moyen ou le choix entre la rue et ces HLM, je choisirais la rue… Cet endroit contient beaucoup trop de traces et de vécus pour pouvoir être habité. J’ai beaucoup de mal à admettre que des habitants de ces immeubles ignorent ce qui s’est déroulé là entre 1941 et 1944. Pourtant, un wagon et des plaques ont été disposés là en signe de mémoire. Je trouve cela sidérant. Mais enfin, j’imagine que ce n’est qu’une certitude de gamine. Bref, par la suite et pour terminer, nous nous rendons à l’annexe du Mémorial de la Shoah situé juste à coté. Je peux consulter de nombreux ouvrages sur le sujet. Je crois que la fatigue m’emporte à quelques instants, mais je trouve ce moment fort intéressant. Enfin, nous rentrons à l’hôtel et, après avoir eu un petit aperçu de la chambre que je partage avec Perrine, nous allons manger dans la joie et la bonne humeur. Cette dernière sortie est amusante bien que difficile à gérer pour nos professeurs. Je ne crois pas, cependant, qu’ils aient passé une si dure journée. Demain, c’est le départ pour la Pologne. Départ à 5 heures de matin. Houhouu !

Lundi 25 février :

Je crois que cette journée fut la plus épique de ce voyage. Enfin peut être ne sommes nous pas au bout de nos surprises ! Enfin, il faut bien admettre que là, nous avons battu un record. Nous arrivons à l’aéroport vers 6h30 du matin et enregistrons notre bagage. La fouille du sac, le chocolat chaud à quatre euros dix, les toilettes… font le charme de ce début de journée. Finalement, nous embarquons et nous nous installons à la « one again » dans l’avion. Il est une fois de plus amusant de voir les hôtesses s’agiter : « Toi tu vas mourir, toi aussi, moi aussi… » (Gad Elmaleh). Finalement, après une heure d’attente, c’est le départ et le premier décollage pour beaucoup d’entre nous. Cette sensation qui fait sourire, ce cœur qui se soulève comme la lourde carcasse du volatile mécanique… Au dehors, rien n’est malheureusement visible pour nous, mais lorsque nous passons au dessus des nuages et que nous sentons le soleil caresser notre peau pâle, notre sentiment de joie s’accentue.  Je crois que nous n’avons plus vu le soleil depuis quelques jours et le revoir dans ces circonstances ne peut qu’être plaisant.

Le reste du vol est assez calme, mais tout se complique lorsqu’il faut atterrir. En effet, la météo polonaise ne semble pas favorable à ce que nous arrivions sur ces terres. Le commandant de bord décide donc de se détourner vers un autre aéroport au nom imprononçable – comme chaque nom polonais à vrai dire : Katowice situé à 80 km de Cracovie. En compensation du retard occasionné par cette déviation, la compagnie nous offre un petit pique nique et un bus pour faire un bout de chemin inverse vers l’aéroport de Cracovie. Le temps presse car nous devons prendre un bus pour Lublin… Les ennuis auraient pu s’arrêter ici… mais non ! Autant en avoir jusqu’au bout ! Une fois sur place, nous cherchons une navette pour nous emmener au train qui nous conduirait dans le centre de Cracovie. Il est relativement simple de trouver un bus qui nous propose de nous emmener à… une centaine de mètre de notre position ! Finalement le bus qui devait nous emmener de Cracovie à Lublin est parti sans nous. Il nous faut prendre un autre bus réservé in extremis pour nous par l’Institut de France. Ce passage semble sûrement brouillon pour vous, lecteurs mais c’est assez représentatif de ce que nous avons vécu ! Et pourtant, jouer au dictionnaire de tous les mots débutant par « dé », « ca », « pr » avec le vocabulaire de vingt élèves de première, ça occupe !

L’ultime voyage en bus débute à 16h10. Le trajet est amusant : le Milka aux Oréo, un bel Anglais qui plie des bouts de papier pour en faire des dromadaires, les boutades et le paysage monotone, des champs à perte de vue, des vallons où brille la blancheur de la neige, de vieux cabanons et de splendides maisons qui se côtoient… c’est très paradoxal et relativement étrange.
Nous arrivons à 21h20 à Lublin. Après avoir dit adieu au bel Anglais, atteint l’ancien couvent rue Podwale et découvert nos chambres, nous nous rendons au restaurant du Centre Brama Grodzka, où nous dégustons quelques spécialités locales dans une ambiance bon enfant. La soirée est très plaisante. À la sortie, il doit être 23h et nous allons marcher dans la vielle ville. Obscures photos et bataille de boules de neige complètent cette ballade avant de rentrer à l’hôtel pour une bonne nuit de sommeil revigorante.

Mardi 26 février :

Aujourd’hui, nous sommes réveillés par la clarté du ciel de Pologne qui transparait par les fenêtres de notre chambre. Pour la première fois en trois jours, nous prenons le temps de déjeuner, de nous préparer sans la précipitation qui nous avait tenus durant ces deux derniers jours. Après un bon petit déjeuner, nous partons donc pour une courte visite du quartier juif où la maison des grands-parents de Dora et sûrement Dora elle même, vivaient. Je trouve étrange de voir les immeubles en friche et les neufs. Mais c’est peut être ce qui fait le charme de cette ville que je préfère à Cracovie. Bref, nous nous rendons ensuite au Centre Brama Grodzka-Teatr NN pour avoir un aperçu de la ville originelle de Dora avant la guerre et sous l’occupation nazie. Il était intéressant d’avoir d’autres exemples, d’autres situations que celles que nous pouvons voir en cours. Il y a de nombreuses photographies, des témoignages, des maquettes, des plans de la ville… De nombreux classeurs rangés renferment l’histoire d’habitants ou d’habitations. Nous apprenons, grâce au travail d’Agnieska, notre guide, que le vrai nom de Dora n’est pas Augier, mais Anger.

Puis, nous retournons à l’hôtel pour déjeuner et repartons visiter la ville haute, acheter des cartes postales et autres babioles. Les photographies, les boutades, les jeux, les cupcakes, les vrais bretzels, les sourires de certains polonais, les yeux revolver d’autres. Enfin, le retour à Cracovie en bus, après mille et unes aventures (pour ne pas dire frayeurs !) dans la joie et la fatigue aussi. La nuit se déroule dans une auberge de jeunesse assez drôle (enfin, dans le sens ironique du terme). Nous n’allons pas nous plaindre, d’autant plus que nous avons un lit, du chauffage et une couverture pour accompagner la tablette de Milka Oreos. Que demander d’autre ?

Mercredi 27 février :

Quelle journée passionnante. C’est un peu une sorte de « rêve » - si l’on peut appeler ça ainsi - qui se réalise. Je crois que cela faisait bien trois ou quatre ans que je voulais me rendre sur ce lieu d’Histoire, de Mémoire et de Devoir qu’est le complexe d’Auschwitz. Auschwitz I est principalement un camp de concentration. Il regroupe de nombreux blocs, 28 au total renfermant prisonniers politiques dans un premier temps, puis des Juifs, des tziganes, des homosexuels et tout les « sous-êtres » désignés par les nazis. Nous pouvons arpenter les longues allées du camp, frôler le sol et toucher du bout du doigt ce qu’ont pu vivre ces centaines de milliers de personnes. J’ai du mal à imaginer ce qu’ont pu vivre ces gens morts pour les idées d’autres. Cependant, me rendre sur ce lieu puis à Auschwitz-Birkenau, où Dora Augier a été gazée, permet de me rapprocher plus encore de cette réalité qui nous échappe et de cette histoire qui est aussi la nôtre. À Auschwitz I ont eu lieu les premières exécutions par le gaz. Au tout début, les nazis ont mis deux jours pour asphyxier les deux ou trois cents prisonniers choisis pour participer à cette expérience. Puis, la dose de Zyklon B fut régulée… Les expériences pratiquées sur les enfants, les femmes pour les rendre stériles par exemple, et les malades me choquent une nouvelle fois.

À Auschwitz II, il ne s’agissait plus que d’exterminer, terrasser dans la souffrance une prétendue « race » impuissante face à tout ce dispositif, face à toute cette haine. Cinq chambres à Gaz et plusieurs hectares de bâtiments sordides où s’entassaient les hommes, les femmes attendant leur rendez-vous avec la mort. Chaque mot prononcé par notre guide résonne comme une fatalité réelle dans l’esprit des lycéens. En marchant dans les allées du camp, peu de mots sont prononcés finalement. Il n’y en a sûrement pas besoin. Après cette visite, nous rentrons finalement en bus, entassés les uns sur les autres, mais souriants…

Puis, c’est le retour à Cracovie dans notre auberge de jeunesse, histoire de se changer et nous voilà repartis pour notre dernière soirée en Pologne. Un très bon restaurant (où nous découvrons de nombreuses spécialités excellentes). Des photos, des boutades, un rock dans les rues, un pourboire, des jeux, des souvenirs et bientôt nous plongeons dans un sommeil salvateur.

Jeudi 28 février :

Ce jour signe la fin de notre voyage après un ultime petit déjeuner dans notre auberge, nous prenons le chemin de l’aéroport qui nous mène à Paris. Adieu la Pologne et ses paysages monotones et pourtant charmeurs. Le second passage à Paris est réellement amusant : traverser la capitale à pieds, s’arrêter dans les rues pour trouver notre chemin, manger un kebab sans kebab parfois, une pause avec des pigeons carnivores, et une immense tour. Enfin, notre train. C’en est bientôt fini de notre voyage, mais aucun de nous n’a de regrets. C’était un voyage tellement enrichissant, bien plus, finalement que ceux que nous aurions pu faire dans un cadre scolaire. Nous avons pu découvrir une partie de l’histoire de notre pays sous un nouvel angle et cela nous aura permis d’en garder un souvenir sûrement impérissable. Les derniers jeux, les dernières photos, les dernières boutades, les derniers kilomètres et nous arrivons à Vire, fatigués sous la nuit d’hiver de notre ville. Enfin, nous nous séparons et repartons chacun de notre côté, contant tout notre voyage à nos proches.

Je ne sais jamais conclure mes récits, alors je ne vais pas faire de conclusion. Juste rappeler que nous avons eu la chance de faire ce voyage magique et que cela nous aura sûrement permis de nous souvenir à jamais de ce qui s’est passé durant la Shoah. Alors juste merci à nos professeurs !

Camille DURAND