Et pourtant, à présent, l’herbe pousse

Auschwitz-Birkenau-Monowitz : complexe de trois camps immenses . Plus de 170 hectares clôturés. Des barbelés électrifiés isolant de l’humanité la monstruosité sous sa forme la plus poussée. L’ampleur du massacre dont les villes d’Oświęcim et de Brzezinka furent témoins dépasse ce que l’on peut imaginer. L’intelligence du 20ème siècle mise au service d’un génocide rationnel, scientifique, élaboré. Tuerie de masse, conceptualisée, optimisée, mise au point, recherchant dans la barbarie l’efficacité.

Visiter Auschwitz, c’est se tenir face aux vestiges d’un massacre terrifiant. La même question revient incessamment : comment n’ont-ils pas, à travers les yeux des enfants perdus et désorientés reconnu la vie qu’ils sacrifiaient? Les kapos qui exécutent, aliénés depuis longtemps par un système insensé, ne distinguent-ils donc plus le crime à travers les fusillés ?  Auschwitz de l’horreur. Auschwitz de l’humiliation. Auschwitz du crime contre l’humanité plus d’un million de fois répété. Un aurait été déjà trop. Auschwitz des corps nus, des crânes rasés ; des rangs serrés et des convois bondés. Le sol s’est lavé du sang déversé, mais n’en a rien oublié. La terre a supporté les corps froidement abattus, les pieds abîmés qui foulaient ce sol du pas abruti des prisonniers, elle connaît la boue qu’ils transportaient.

Et pourtant, à présent, l’herbe pousse.

Alors pourquoi visiter Auschwitz ? Pour revivre, émotionnellement, le chemin de croix de ces hommes et de ces femmes ? Aujourd’hui nous ne serons pas numérotés, encore moins exterminés. Nous ne vivons pas l’horreur, et nous ne faisons qu’imaginer, nous sentant presque coupables de notre liberté, tant elle a pour eux été entravée. C’est là tout ce que l’on peut faire, imaginer ce que le peuple des « naufragés » a enduré. Mais marcher dans leurs pas, c’est aussi rendre hommage. Se souvenir. Le redire encore, et avant tout s’offusquer, frissonner de la barbarie ; que les crimes réalisés, dans leur rudesse et leur brutalité ne soient jamais banalisés. Juifs, Bosniaques, Arméniens, que jamais plus l’humanité ne s’abaisse à ces massacres indignes.

Agathe Leport