Au pays de personne

Quittons la rue et ses cris, si tu veux
Viens avec moi au pays de personne
Loin pour qui est seul mais proche pour deux
C’est le chemin du pays de personne.

Depuis ta maison triste et solitaire
Tu tends ta main, tu me la donnes,
Un mot, celui que je profère
Est mot du pays de personne.

L’une après l’autre en un clin d’oeil
S’éclipsent en rangs monotones
Rues et maisons, voici le seuil
Vaste pour nous du pays de personne.

Nous sommes venus pour quérir la joie
Et c’est la raison qui nous abandonne,
Nous sommes prêts à tout et pas à pas
Déambulons au pays de personne.

Jusqu’à ce qu’enfin pour nous entraîner
Vers le dernier virage l’heure sonne
Car nul ne peut s’en retourner
Jamais du pays de personne…

Étranges et connus nous sommes
Pareils à tous parmi les hommes
Et chaque geste chaque mot
Est différent au pays de personne.

Chacun possède sa maison
Chacun le mur qui l’environne
Et jour après jour nous vivons
Mais autrement qu’au pays de personne.

Depuis longtemps nous dormons corps à corps
Mais nul ne sait que nous berce et résonne
Ce chant pour nous qui est un chant de mort
Sur l’étendue du pays de personne.

 

H. LEIVIK, « Au pays de personne », dans la revue littéraire Khaliastra, « La Bande », Varsovie – Paris, 1922-1924, rééd., texte traduit du yiddish par Charles Dobzynski.