Retour d’expérience(s)

Deux semaines avant de partir en Pologne, les élèves avaient eu l’occasion, de s’interroger sur leurs attentes et sur le sens à donner au « voyage d’études à Auschwitz ». Le texte qui suit est la retranscription (1) d’une discussion en classe entière qui a eu lieu cette fois-ci deux semaines après être allés à Auschwitz. Une forme de bilan partiel sans point final…

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Pour se remémorer nos impressions avant d’aller à Auschwitz… Ce qui était ressorti de nos échanges… c’était la problématique du lieu. A la fois un lieu qui peut être un lieu sacralisé, où l’on se rend en quelque sorte pour faire un pèlerinage (en considérant que chaque partie du camp est sacrée ou très particulière) et où l’émotion est au cœur de la visite. Et puis, nous avions mis en évidence un autre versant : Auschwitz comme lieu « commercial », touristifié, où l’on se rend, non pas comme dans un parc d’attraction bien sûr, mais sans trop se poser de questions, sans trop savoir pourquoi on s’y rend.
Ça, c’était la première chose. Et puis l’autre concernait le regard assez critique et distancié que vous aviez sur la démarche : à quoi ça sert d’aller à Auschwitz ? A quoi ça sert d’y aller en une journée ? Est-ce bien utile ?
C’est peut-être sur ces deux aspects que nous pouvons revenir maintenant… Le voyage a-t-il confirmé certaines idées que vous vous faisiez avant de vous rendre sur les lieux ? Est-ce que cela les a infirmées ? Avez-vous été étonnés ?…

-  Agathe : Moi, pour ce qui est des aspects touristiques qu’on avait évoqués, et en rapport aux mises en garde des élèves qui étaient déjà allés à Auschwitz, j’ai trouvé que le fait d’être accompagnés par d’anciens déportés et, d’autre part, par des guides très informés… cela nous a épargnés de ne plus savoir où nous étions. Moi, je sais que je n’ai pas eu l’impression d’oublier où j’étais à aucun moment. Tout au long de la visite, j’ai gardé en tête que l’étais au cœur d’un camp de concentration et d’extermination. Du coup, je n’ai pas eu cette impression là. Et c’est vrai que ça m’aurait frustrée, ça m’aurait un peu fait peur s’il y avait eu trop de monde, s’il y avait eu effectivement des gens qui ne respectaient pas les lieux… Si c’est réellement un lieu touristique, c’est dommage, mais personnellement je ne l’ai pas du tout ressenti.

-   Maël : Moi au début, j’ai trouvé que c’était super touristique… devant le camp avec tous les bus qui passaient… ça faisait bizarre. Après dans le camp oui, ce n’était plus touristique mais au départ, j’ai eu cette impression…

-    Marion : Moi, ce qui m’a étonnée, c’est lorsqu’on visitait les baraquements du camp de concentration. On a rencontré un autre groupe qui était relativement plus nombreux… Et là c’est vrai que j’ai trouvé que c’était un petit peu touristique. J’ai cette vision là et je crois que ça va me rester… C’est peut-être bête, mais il y avait (je pensais au départ que c’étaient des Français) des jeunes qui portaient une tenue jaune fluo… ça m’a marquée… Je me suis dit « ici, on ne peut pas venir comme ça »… C’est quand même un lieu de mémoire ; il y a un certain comportement à adopter. Pour moi, c’était un manque de respect…

-  Medhy : Je rejoins Marion. C’est vrai que parfois c’était parfois complètement déconnecté. Avec Marc, on a vu un couple heureux qui se baladait… On se dit « on est à Auschwitz » et au final la mémoire du lieu est complètement à part…

Alors, il y a quelque chose qui explique un peu cela. Il y avait une atmosphère particulière avec le temps estival qui nous accompagnait. Pour moi, le moment clé, c’est quand on arrive dans le « Petit Bois de Bouleaux » (où il y a la mare des cendres et les ruines du Krematorium V) : là ce qui nous accompagnait, c’était le silence et le chant des oiseaux. C’est assez déroutant effectivement…
Qu’avez-vous pensé des ruines ? Enfin, qu’avez-vous pensé du site : Birkenau et les ruines ? Comment avez-vous appréhendé cela ?

-     Medhy : On a l’impression qu’on ne les voit pas. C’est juste à l’horizon…

-   Agathe : Moi, j’ai trouvé que les ruines donnaient un caractère beaucoup plus concret que tout ce qu’on a étudié. Les Krematorium restent relativement abstraits jusque là… on imagine difficilement. Quand on se trouve devant les ruines, c’est beaucoup plus poignant. Ça nous fait prendre conscience immédiatement de l’endroit, des faits…

-  Servane : Moi, c’est complètement l’inverse. Franchement, devant les ruines du Krematorium, avec le ciel bleu, les oiseaux… c’était presque comme n’importe quel lieu… C’était un peu bizarre…

-     Amandine : J’ai la même opinion que Servane pour le beau temps et les ruines. Mais, ce qui m’a le plus choquée, c’est les photographies… Quand on voit les ruines, on a du mal à s’imaginer et quand on voit les photos, c’est plus concret.

-    Marc : C’est vrai… il y avait les ruines, mais personnellement je n’arrivais pas à me recréer l’atmosphère du massacre. Quand on voit les ruines, on voit tout, mais je n’ai pas eu la réelle impression d’être si touché que ça…

-    Léo : Il y a quand même le côté historique. (Moi, j’ai beaucoup étudié la Seconde Guerre mondiale, parce que c’est la période qui m’intéresse le plus.) Et d’avoir vu des films, des documentaires photos et de se retrouver devant les ruines… ça choque.

-     Louise : La guide a parlé du temps un moment, en disant qu’on avait de la chance qu’il fasse beau… et que même s’il avait plu on aurait eu la même impression… Moi je pense au contraire que s’il avait plu ou s’il avait neigé, on n’aurait pas du tout eu la même perspective et la même approche…

-     Marion : Je voulais revenir sur ce que disait Marc par rapport au fait qu’on avait du mal à se remettre dans le contexte. J’ai eu aussi un peu cette impression là, jusqu’au moment où on est arrivé devant les ruines du Krematorium. Devant le lac où il y a les tombes, il y a vraiment le silence… Même s’il y avait le bruit des oiseaux… moi je me suis plus rendue compte à ce moment là…

-     Louise : A titre personnel, pour moi le moment le plus poignant, c’est pas d’avoir été devant les fours crématoires. C’est plutôt le discours qu’ont tenu les deux témoins… On se mettait à la limite dans leur tête à eux…

-     Agathe : A aucun moment j’ai essayé de recréer l’atmosphère. D’un sens, par rapport à ce que j’ai vécu, je savais que c’était pas possible. Pour moi, c’est impossible d’imaginer ce qu’il y a eu… dans la boue… enfermé… Du coup, c’était plus « utile » de penser à ceux qui sont passés pas là que de m’imaginer moi. C’est vrai qu’il faisait beau… J’ai pas essayé de vraiment me mettre à leur place… mais après, rien que le fait de penser à ceux qui ont vécu ça, c’était suffisant pour rendre l’expérience…

Alors, pensez-vous qu’on s’est trouvé, collectivement ou individuellement, dans une démarche de compréhension de l’histoire ou de « recueillement » et donc plutôt de mémoire ? Comment avez-vous vécu cet aspect là ? Plus dans la recherche de documentation, prendre des connaissances, mieux comprendre les mécanismes ? Ou alors plutôt… rendre hommage, avoir une pensée pour les victimes de Vire (ou les autres) ? Dans quel état d’esprit étiez-vous ?

-      Yohann : Je crois en fait que ça dépend des moments. Par exemple, quand on visite le camp, on ne peut pas systématiquement se mettre dans un « devoir de mémoire ». On prend des connaissances, on observe… Par contre, quand on arrive devant le monument, on passe au recueillement, à la reconnaissance…

-     Marion : Moi j’avais un peu l’impression qu’on était là pour se recueillir et qu’en même temps on apprenait des choses qui devaient perdurer justement pour transmettre cette mémoire là…

-   Agathe : Oui. Ce qui est intéressant, c’est que toutes les connaissances qu’on a pu accumulées prennent forme… ça complète l’approche intellectuelle qu’on a et puis à la fois on n’oublie pas, on garde toujours en tête tout au long de la visite ceux qui sont passés… Il y a une mémoire pour eux… et puis d’autant plus pour les Juifs de Vire auxquels on s’est intéressés. C’est vraiment les deux à la fois.

Alors, pour moi il y a une question qui est centrale, c’est celle de la différenciation entre la logique concentrationnaire et la logique génocidaire (le guide du Mémorial de la Shoah qui nous accompagnait a évoqué cela à plusieurs moments). Pensez-vous que ce voyage permet de mieux appréhender la différenciation entre ces deux logiques ?

-      Marion : Moi je sais que ça m’a beaucoup aidée, parce que j’avais un petit peu du mal à faire la différence entre les deux et là on nous a vraiment bien expliqué. Le fait d’aller sur place et d’avoir vu… par exemple les Tsiganes qui étaient pris dans la logique concentrationnaire avec aucune idée d’extermination derrière au départ… Maintenant, je fais beaucoup mieux la différence ; ça m’a permis de… ben de mieux comprendre en fait.

-    Marc : Je suis d’accord, mais nous on était avec des guides qui nous ont bien expliqué… Ceux qui iraient faire la visite seuls sans guide verraient peut-être les baraquements d’un côté et le camp d’extermination de l’autre, mais ils ne feraient pas le lien et la différence ? J’en suis pas sûr… Je pense que même sans guide on peut comprendre…

Ça voudrait dire que les connaissances viennent s’associer à la visite pour que la différenciation puisse s’opérer…
Alors, est-ce que vous avez été surpris par Auschwitz I, par le deuxième camp ? Comment avez-vous appréhendé cela ? A la fois les lieux et le musée ?

-    Yohann : En fait moi je m’attendais à voir des baraquements comme à Birkenau et pas des sortes de maisons sur plusieurs étages…

-  Valentin : Moi c’est pareil, j’avais l’impression d’être sur une espèce de campus de logement. Ça va paraître bête mais j’ai même trouvé ça… « sympa », j’ai pas trouvé ça moche en fait… Si on prend juste les bâtiments…  Je pense qu’à l’époque il n’y avait pas d’herbe, mais c’est vrai que sur le coup on a du mal à réaliser que c’était un camp de concentration. C’est vrai qu’une fois qu’on entre à l’intérieur de chaque bloc, avec les expositions, on comprend mieux ce qui s’est passé… C’est vrai que de l’extérieur, on est là… on ne sait pas trop… on est surpris. De l’extérieur, on ne s’attend pas à ce qu’on va trouver à l’intérieur.

C’est ça qui est intéressant. La configuration des lieux est complètement différente entre Birkenau et Auschwitz. Et dans les deux cas, on a une réaction, on a une surprise… on réagit forcément. Soit, comme vous le disiez tout à l’heure : les ruines sont évocatrices de rien ou elles sont un peu sèches ou il manque quelque ou ça ne correspond  pas aux représentations qu’on se faisait avant… Soit on arrive dans quelque chose de « trop parfait » (matériellement parlant), quelque chose qui n’évoque pas pour nous un ancien camp de concentration. Donc rien que l’appréhension des lieux, c’est problématique…

-    Marion : J’ai eu exactement la même impression que Valentin… Je me suis presque même dit… que c’était presque sans peine ici contrairement à Auschwitz II. C’est pas ce que je pense mais je me suis fait cette réflexion là…

Il y a une distance phénoménale entre le lieu aujourd’hui qui est un musée et le lieu tel qu’il était dans les années 1940… Et qu’avez-vous pensé des expositions à l’intérieur du musée ? Comment avez-vous réagi ?

-   Marion : Là où il y avait tous les cheveux, les chaussures, les valises… ça m’a fait bizarre de voir autant d’objets… On se rend compte de l’ampleur du phénomène…

-    Medhy : A propos de l’exposition sur les déportés qui venaient de France… Le fait de penser que des déportés français sont venus jusque là, lorsqu’on est sur le lieu là après être allés à Drancy, ça renforce notre compréhension.

-     Agathe : A propos de tout ce qu’on a vu dans les salles dont parlait Marion, les objets des déportés, tout ce qui concerne leurs biens, leurs cheveux… moi je crois que j’aurais préféré ne pas voir tout ça, parce que finalement à partir du moment où on le sait… J’aurais préféré être épargnée… Parce que j’ai été tellement mal à l’aise à ce moment là… Je ne pourrais pas exprimer mon sentiment… une sorte de honte par rapport à la façon dont nous on entre dans le camp et on en ressort aussitôt… Quand on tient compte de leur sort à eux, on a presque honte de notre liberté… Il y a aussi le malaise par rapport au système qui récupérait tout… En même temps, c’est vrai que ça nous fait prendre conscience de la façon dont c’était rationalisé, organisé, mais… leurs cheveux, leurs chaussures… j’ai trouvé que ça prenait une dimension de l’ordre de l’émotion et pour le coup, c’est vrai que c’est marquant mais… j’aurais préféré ne pas les voir.

-    Mélanie : Je suis d’accord avec Agathe. J’ai trouvé les choses à Auschwitz I un peu mis en scène et ça jouait un peu sur les sentiments des personnes. J’ai trouvé ça un peu inapproprié par rapport au lieu…

Qu’est-ce qui manquait, si on suit votre raisonnement, dans ces pièces, à côté des vitrines ?

(silence)

Tout est fondé sur l’émotion dans ce parcours, il manquait tout ce qui concerne la démarche explicative, compréhensive du phénomène. Les trois quarts du temps, les visiteurs sont laissés libres de réagir sans vraiment réfléchir… Moi aussi je suis d’accord avec ce que vous dîtes… le côté émotionnel aux dépens du côté purement historique… moi aussi ça m’a gêné. Et puis, il y a un autre défaut : le fait que l’essentiel du musée soit consacré à l’histoire du génocide juif, entretient la confusion entre logique concentrationnaire et logique génocidaire. On a le sentiment que le génocide s’est opéré dans le camp de concentration à Auschwitz I. Or c’est pas conforme à l’histoire.
Alors sur le fait d’y aller en une journée ?

-     Medhy : C’est tellement court, qu’on se rend compte qu’on est allé à Auschwitz que quand on est parti. Moi c’est l’impression que j’ai eue ; j’ai réalisé que quand j’étais dans l’avion. C’est bizarre. On se dit, il faudrait vraiment que j’y retourne une deuxième fois pour…

D’autres ont un point de vue différent ou identique ?

Moi je partage un peu ton point de vue, sur l’idée qu’une visite en appelle une autre… Je pense que c’est aussi ça la meilleure façon d’appréhender le lieu, si l’on souhaite continuer à s’intéresser à ça évidemment. C’est pas une nécessité impérieuse que d’aller à Auschwitz dans sa vie et d’y retourner régulièrement. Je crois que pour appréhender les lieux et vivre cela différemment, oui je crois qu’il faut y retourner… D’ailleurs, on voit les comportements… moi j’ai observé un peu le comportement des gens qui nous entouraient  ou qui étaient au loin… et on voyait les gens qui percevaient, ceux qui venaient pour la première fois et ceux qui revenaient sur le site…

-    Agathe : Je ne crois pas que j’y retournerai… Je crois que j’aurais trop peur d’être… de finir par me « blaser », par ne plus ressentir, par ne plus… Et puis même, finalement quand émotionnellement, on a pris connaissance une fois… je crois qu’on peut s’en remettre à une approche intellectuelle… De la même façon, je ne me vois pas passer une deuxième journée ou même plus à Auschwitz. Effectivement, là il y avait les contraintes d’organisation, mais quand même je ne me serais pas vue passer plus de temps à Auschwitz.

Dernière question. Dernier sujet de réflexion : qu’est-ce que le voyage a apporté pour notre projet sur l’histoire des Juifs de Vire ?

-    Marion : Le fait de retracer leur chemin et de se recueillir… ça a permis d’acquérir une mémoire qu’on pourra faire parvenir à d’autres personnes.

-     Medhy : Ça a permis une compréhension à caractère purement humain…

-    Mélanie : Moi, j’ai trouvé pertinent d’aller à Drancy d’abord, pour voir les lieux où ils étaient internés, et d’aller ensuite à Auschwitz, pour voir les derniers lieux de leur vie…


1. Discussion-débat enregistrée au lycée le 12 avril 2011. Le contenu est le plus fidèle possible aux différentes prises de parole.